[SASHA] - SOS DJ

Ce soir, c’était la folie. Bon, en soit, pas bien différent de d’habitude à cette heure là. On approchait les 2h du matin en fin de semaine, au coeur de Manhattan. Vous savez, à New-York il y a deux types de population. Ceux qui vivent le jour, et qui hantent comme des zombies fantômes les quartiers d’affaires, avec sorties à horaires plus ou moins fixes pour récupérer de leur street food, et enchaîner d’un client à l’autre. Et puis, il y a ceux qui vivent la nuit. A mon avis, il suffit de simplement diviser le nombre d’habitants de la ville par deux, et on obtient exactement les deux populations bien distinctes. Tout ça pour dire quoi, tout ça pour dire que ce n’est pas la nuit que les business se reposent. Au contraire ! En tous cas, c’est ce qu’il se passe pour le bar dans lequel je travaille à La Marina. "Et voilà pour votre Pink Love, mon collègue va vous encaisser, merci beaucoup et bonne dégustation, faites nous signe s’il vous faut quoique ce soit d’autre." Et en plus il fallait rester poli jusqu’au bout (c’était dans notre contrat, si si je vous jure). Nous n’avions pas le droit d’être agressif avec les clients. Ca paraît évident dit comme ça, mais à 2h du matin avec plus de 7 heures de service dans les pattes, je vous promets que ça devient délicat et qu’il faut commencer à réfléchir deux fois avant de s’adresser à un client chiant, ou pas d’ailleurs.

Plus personne ne pouvait s’accouder au bar tellement on était plein, la piste de danse était beaucoup trop remplie elle aussi, mais bon. C’était le business ! Ce qui me plaisait le plus dans ce genre de soirée, c’est que nous ne sommes que 3 derrières le bar. Je crois que c’est les l’endroit avec le plus de co2 disponible au mètre carré ! Donc je prenais mon pied sans souci. J’ai vu le patron descendre en hurlant : "BAKKEN, le DJ se barre ! Trouve m’en un autre ! Je veux plus voir sa gueule à lui, le rappelle plus !"

Toujours pareil. Je ne comprenais pas bien : j’suis juste un barman ? Ou bien finalement je suis plutôt l’associé du dirigeant ? Pour toutes les demandes qui n’avait rien à voir avec le concept de préparer un cocktail et le servir à un client, c’était moi qu’on appelait. Bon, numéro d’urgence, le meilleur que je connaisse et le plus efficace. Sauf quand dans ce genre de soirée, il faut proscrire les coups de téléphone ! C’est l’enfer pour s’entendre, décrocher, faire marcher le réseau, bref. Je m’écarte du comptoir et j’écris en deux temps trois mouvements : "SOS, DJ de merde, il nous faut un back up pour 2:15am max. T’es dispo ?" Cela ne pouvait s’adresser qu’à une personne. J’ai tout de suite fait comprendre à mon manager que j’étais sur le coup, mais j’étais pas superman non plus. Ils ont fini par mettre un semblait de playlist le temps que ma solution de secours fonctionne, ou ne fonctionne pas d’ailleurs…

Des quarts d'heures qui semblaient durer des heures j'en avais vécu plus d'un dans ma vie. Mais celui là était vraiment très très long. J'ai vu l'un de mes collègues qui commençait à hausser le ton avec un client. Je l'ai chopé par l'épaule pour le dégager de cette discussion qui ne finirai pas. "Il vous faut autre chose messieurs dames ?" A priori non, ils n'avaient plus qu'à payer. C'est terrible de devoir vendre de l'alcool tant qu'ils en demandent. Nous on a de vendre pour qu'ils nous payent. Et en même temps, plus ils sont ivres plus c'est compliqué de continuer à vendre dans les règles de l'art. La playlist qui tournait n'était pas ridicule mais avait clairement refait chuter l'ambiance. On entendait plusieurs conversations qui râlaient et promettaient de ne plus jamais revenir, faute de savoir tenir l'ambiance jusqu'au bout de la night. J'ai arrêté d'écouter, de toutes façons tout était trop fort ce soir. Je suis allé vers mon collègue qui s'est emporté : "Tu refais ça, tu dégages. On a pas le temps de se prendre la tête avec les clients ? Ok ? Si tu le sens pas, tu demandes de l'aide. Mais tu leur parles pas comme ça." Et malgré tout je prenais le temps de lui remonter les bretelles. Fallait bien qu'il apprenne le nouveau !

Ah yes, ah oui ! Mon sauveur de la soirée. Sasha venait d'arriver. Pour conserver ma voix, je n'ai pas hurlé plus fort que les autres et que la musique pour qu'elle me situe. Bon après, de l'autre côté du bar c'était pas trop compliqué. Mais il fallait que je la mène aux platines. J'ai joint les mains devant mon visage pour la remercier du mieux que je pouvais en plein milieu du rush. Puis, un ptit clin d'oeil machinal et un signe de tête qui indique de passer de l'autre côté de bar, je lui ouvrais le rebord amovible pour qu'elle nous rejoigne. "Merci. J'ai pas les mots. Viens voir c'est pas là." Les gars étaient au courant que le DJ allait arriver, donc ils allaient bien réussir à se débrouiller le temps que j'emmène Sasha au bon endroit. On est passé directement par des couloirs interdit au public pour aller vers les platines. "Ecoute ce soir c'est la folie, l'autre DJ a fait NIMP. Y'a moyen que tu marques à jamais la mémoire de cette soirée en la faisant sortir de l'enfer !" J'ai toujours pu compter sur Sasha, et ce soir encore, elle me sauver les miches. J'vous jure je vais me faire augmenter pour avoir une vie sociale intéressante !